L’Iran
Paradis de voyageur
À bien des égards, la République islamique d’Iran a de quoi faire peur. Pourtant, sa population figure parmi les plus sympathiques et touchantes qui soit. Et si nombre de voyageurs affirment qu’il est urgent d’y aller faire un tour, c’est qu’ils y ont trouvé quelque chose de rare : une hospitalité intacte et désintéressée. Récit d’un périple de huit mille kilomètres où Rencontre et Échange sont les maîtres mots.
Texte et photos : Marc Mellet
« Ça y est, les ennuis commencent ! ». Moins de six mois après être entré en Iran pour la première fois, je regrette encore cette phrase lâchée par angoisse lors de notre sortie de la frontière turque. Tatiana venait juste de mettre le voile qu’elle aura à porter sans interruption pendant les trente jours accordés par nos visas.
Coincé entre Afghanistan à l’est et Irak à l’ouest, l’Iran marquait dans nos imaginaires le début des hostilités. Partis de Paris trois mois plus tôt, nous étions inquiets d’arriver à une mauvaise période sur ce pivot de « l’axe du mal » qui marquerait une transition certaine dans notre quête des grands espaces jusque Delhi, en Inde. Une demi-heure plus tard, l’Iran nous ouvrait son cœur et nos appréhensions s’éclipsaient à jamais.
La ville de Tabriz située à deux cents kilomètres du poste-frontière sera la première à nous accueillir. Son bazar millénaire représente un argument de visite à lui tout seul. Véritable ville dans la ville, ce labyrinthe s’étale sur plus de trois kilomètres et offre un beau panel sur le commerce à l’iranienne. La section des tapis est particulièrement appréciable tant elle permet de comprendre la diversité des techniques de fabrication. Les grandes voûtes en briques qui constituent les allées sont traversées par des traînées de lumière que laissent passer les puits d’aération. L’atmosphère y est magique et l’on comprend le huis clos qui de tout temps a fait peur aux puissants sur les conspirations possibles dans les bazars du pays. Car les échoppes génèrent une telle richesse à leur propriétaire que ceux-ci obtiennent un poids à prendre en compte dans la politique intérieure.
Ce qui se passe au parc Elgoli n’inquiète guère le pouvoir en place. Bien avant la révolution islamique de 1979, les familles venaient déjà s’y prélasser chaque vendredi (l’équivalent de notre dimanche). Au milieu du petit lac central, la discothèque a simplement été remplacée par un restaurant. Seul loisir accessible aux plus modestes, le pique-nique est une véritable institution nationale. Les femmes y sont comme partout ailleurs, voilées, mais assouplissement du temps, quelques couples non mariés flirtent en cachette dans les allées boisées.
C’est ici que nous rencontrons l’une des plus grandes merveilles de ce qui reste de la Perse : sa population. Déjà dans le bazar, plusieurs personnes nous avaient approchés, mais méfiants pour notre première journée, nous n’avons pas donné de suite probante par peur de repartir avec un tapis ou un bracelet acheté à prix d’or. Dans ce contexte de verdure et de tranquillité, nous avons accepté de nous poser pour prendre le thé après une dizaine de sollicitations de toute part. La suite est délectable puisque notre halte de Tabriz devait être de quarante-huit heures. Nous y sommes restés quatre jours pleins et n’avons quitté notre famille d’adoption que vingt-quatre heures plus tard après que ceux-ci aient tenu à nous accompagner jusque l’escale suivante à Kandovan, un joli village d’habitations troglodytiques. Il en sera ainsi des vingt-cinq jours restants, chaque nouveau pas étant prétexte à une invitation à partager le thé, un repas, une amitié. Cette population est enfermée sur elle-même et souffre tellement de l’image que son gouvernement renvoie à l’extérieur que le moindre contact avec un étranger découle sur un fleuve de questions et d’attentions en tout genre à la limite de la démesure.
Ce constat, nous ne sommes pas les seuls à le faire puisqu’à Téhéran, la capitale, Valéria et Jorgio nous rejoignent. Ce couple d’italien est parti à moto d’Italie trois mois plus tôt et compte relier l’Australie d’ici un an. Rencontrés un mois plus tôt à Istanbul, nous avions convenu de nous retrouver pour faire un convoi pour la traversée du Pakistan. Tous deux sont emballés par les contacts multiples qu’ils ont pu faire et sont parfois impressionnés par les phénomènes de foule générés par leurs motos. Pour comprendre le phénomène, il faut savoir que la cylindrée maximale autorisée en Iran est de 150 cm3. Il faut donc s’imaginer le passionné iranien qui découvre en même temps une Honda Africa Twin de 750 cm3, une Honda Transalp de 650 cm3 et son pilote …une femme. Le choc.
Après les visites des hauts lieux touristiques, nous quittons la capitale, sa pollution et son trafic inimaginable. Cette ville de douze millions d’habitants représente la moitié des immatriculations automobiles et la majorité des 19 000 personnes tuées sur la route chaque année. Un triste record qu’il nous faut fuir au plus vite sous peine de crise de nerfs. Pour ce faire, l’autoroute constitue le meilleur moyen, mais son usage est interdit aux deux roues. Les autorités nous le rappellerons rapidement. Une fois encore, notre statut d’étranger nous permettra de sortir de l’impasse sans être inquiétés. Le péage nous est offert à chaque tronçon en guise de bienvenue. Aux stations essence, alors que le prix n’est que de 1,6 cent d’euros le litre –300 litres pour cinq euros-, il nous est arrivé deux fois de voir le pompiste refuser notre argent, au nom de l’amitié. Nous avons payé, mais j’ai du mal à imaginer ce même pompiste en visite en France ou en Europe. Peut-être était-il à Sangatte ?
En arrivant à Esfahan, les splendeurs de la Perse vous crèvent les yeux. Cette ancienne cité persane n’a été capitale que pour un siècle entre deux invasions ottomane et afghane, mais la majorité des monuments ont réussi à traverser le temps, les invasions et les nombreux tremblements de terre. Les faïences bleues débordent de la moindre mosquée. Les minarets jaillissent de terre pour rejoindre un ciel plus bleu encore et les ponts enjambent le fleuve Zayandeh de manière fort artistique. L’endroit le plus représentatif est la place de l’Emam Khomeini puisqu’il centralise deux mosquées dont la superbe mosquée de l’Emam, un palais et le bazar. Pour beaucoup, cette ville est l’une des plus belles du monde islamique. Et même si ici, le tourisme est plus fort qu’ailleurs, vous rencontrez partout un étudiant pour demander à parler anglais, allemand ou français. Il s’agit de vrais étudiants qui recherchent juste un échange avec notre culture si différente et non de vendeurs qui prennent le temps de vous emmener dans le magasin de leur cousin comme cela se passe si souvent ailleurs. La ville offre un dédale de rues désertes aux heures les plus chaudes de la journée. Les portes des maisons disposent de deux marteaux différents selon que l’on soit un homme ou une femme pour frapper. Chacun émettant un son différent pour indiquer aux femmes si elles doivent se couvrir ou non lors de l’ouverture de la porte. Car si le voile est obligatoire à l’extérieur pour toutes les femmes âgées de plus de douze ans, à l’intérieur, la femme est libre de s’habiller comme elle l’entend. Ainsi, nous avons rencontré quelques femmes jeunes et moins jeunes qui se changeaient complètement pour nous recevoir en t-shirt moulant et en jupe. De leur côté, Tatiana et Valéria n’ont pas eu de mal à porter le voile malgré les grosses chaleurs de l’été. La contrainte fut dérisoire en regard de ce que subissent les femmes ici. Le problème fut plutôt d’accepter que souvent votre interlocuteur réponde à votre ami plutôt qu’à vous-même. En tant qu’homme, nous étions ainsi parfois doublement sollicités.
Sur la route de nouveau, notre petit convoi aborde désormais les portes du désert. Les motos sont remplies à ras bord d’essence. Tous les 130 kilomètres, il faudra être vigilant pour refaire le plein. Trouver du carburant ne pose généralement pas de problème, mais les distances sont parfois très longues.
La ville de Yazd est une vraie ville de désert construite principalement de briques en terre grise. Réputée pour ses tissages, elle fut une étape incontournable de la Route de la soie. Une vue des toits permet de faire connaissance avec les badgir, ces tours de vents destinées à recueillir le moindre souffle d’air. Cet ancêtre de la climatisation fonctionne encore très bien puisque de petits bassins d’eau rafraîchissent l’air en s’évaporant. L’approvisionnement en eau a une particularité que seules les villes de désert savent développer. Les qanat, ou canaux souterrains sont de véritables trésors d’ingéniosité. L’eau est puisée dans des sources naturelles en profondeur et acheminée via un système de canaux parfois distant de quarante kilomètres. Sur de telles distances, la déclivité induit des puits situés à des profondeurs de plus de cent mètres. La mosquée Jameh en possède un exemple facile à visiter puisque l’endroit sert maintenant pour les ablutions du vendredi.
Au rythme des bivouacs, nous progressons vers Persépolis. Redécouverte en 1930, la très ancienne résidence d’été –quinze siècles- de l’empire achéménide est restée sous les décombres plusieurs décennies. Depuis, les archéologues se sont efforcés de comprendre la vie de cette cité de 125 000 mètres carrés en redonnant forme à ses palais. L’ensemble possède de très jolies fresques sur lesquelles se trouvent des écritures cunéiformes, l’écriture inventée par les Sumériens au IV millénaire avant Jésus-Christ. L’endroit est maintenant l’un des plus visités et le prix pour les touristes n’est plus de dix fois comme ailleurs dans le pays, mais de vingt fois celui que paie un Iranien. Dans un pays où l’essence est quasi gratuite, les visites deviennent le budget le plus important.
Chiraz, la ville des poètes représente une halte agréable pour effectuer la révision des motos et de l’auto. Ses mosquées et jardins sont d’un style encore bien différent de ce qu’il nous a été permis de découvrir jusqu’ici. Les tombeaux de Hafez et Saadi, deux des plus grands poètes perses avec Omar Khayyam et Ferdosi permettent une bonne introduction à la littérature persane puisque chaque jour, au coucher du soleil des centaines de personnes viennent y réciter des poèmes à pleine voie. Les étudiants se font alors une obligation de vous offrir un recueil traduit en anglais pour que vous compreniez l’importance de ces auteurs dans la vie de tous les jours. Les générations s’affrontent dans des concours de mémorisation de poèmes et il n’est pas rare de prédire le destin en ouvrant au hasard une poésie de Hafez.
Galerie abîmée en Bulgarie et à réparer d’urgence, câble de frein à main grippé, quatre crevaisons à cause des étiquettes oubliées dans les pneus et un moyeu de roue desserré, voilà le maigre bilan des problèmes qu’affiche notre BJ après les 15 000 kilomètres depuis notre départ de Paris trois mois plus tôt. Le compteur affiche déjà plus de 300 000 kilomètres. Notre préparation chez Foxy a eu du bon, car depuis la Roumanie nous empruntons déjà beaucoup les pistes et certains accès au bivouac ressemblent plus à du trial qu’à des balades de santé.
La route jusque Zahedan, la ville frontière avec le Pakistan passe par la ville de Bam, célèbre pour sa citadelle. Cette oasis de palmiers dattiers a su accueillir une petite ville fortifiée au moins deux fois millénaire. Ses 11 000 habitants y menaient une vie prospère jusqu’à une invasion afghane en 1722, date du déclin jamais terminé de la cité. L’ensemble en partie restauré n’est plus qu’un musée à ciel ouvert de la vie surprenante des gens du désert. Ici encore, les badgir et les qanat assurèrent à la population une vie moins difficile. En été, se sont régulièrement quarante-cinq degrés à l’ombre qui vous assène en permanence. Cette température quotidienne nous impose de rouler dès le levé du soleil vers six heures du matin sous peine de dessiccation plus tard dans la journée. Nous buvons alors huit litres d’eau par jour et par personne. Une belle mise en train avant le désert du Baloutchistan, encore et toujours plus à l’est.
Lors de notre retour, deux mois plus tard, nous emprunterons les mêmes routes à l’asphalte parfait, un peu plus au nord ce coup-ci en direction de la ville sainte de Meshed. L’air est bien plus supportable qu’à l’aller. À la frontière, nous avons abandonné nos carapaces de voyageurs pour retrouver l’élément le plus important pour visiter un pays comme l’Iran : la naïveté. Car c’est bien cela qu’il faut pour s’ouvrir aux mille richesses d’un pays trop mal perçu de l’extérieur. Comme un poème de Hafez où le temps n’a plus d’égard, l’Iran éternel saura alors vous combler de joies infinies.
La République islamique d’Iran en bref
Localisation : entre la mer Caspienne et le Golfe Persique
Superficie : 1 648 000 kilomètres, trois fois la France
Climat : Continental ; températures moyennes à Téhéran : de –3°C à 7°C en janvier, de 22 à 37°C en juillet.
Capitale : Téhéran
Population : 65, 6 millions d’habitants
Religion : Musulmans à 97%, chiites à 70%
PIB par habitant : 6400 euros
Ressources : pétrole, gaz naturel, moutons, bovins, blé.
Conseils Pratiques
Décalage horaire : plus 2,5 H en été et 3,5H en hiver par rapport à la France.
Monnaie : Le rial. Un euro = 7800 rials. Attention, il faut venir avec du cash, car les traveller’s chèques et le système Visa ne fonctionnent pas. Embargo avec les États-Unis oblige.
Langue officielle : Le persan, nommé farsi par les Iraniens.
Formalités : en France,visa obligatoire très difficile à obtenir sans passer par une agence qui vous double le prix du visa et impose des nuits d’hôtel, un mois de délai. À Istanbul, nous avons eu notre visa aller en cinq jours et retour en deux jours à Delhi.
Budget : L’Iran offre aux voyageurs un pouvoir d’achat élevé. Le diesel y est quasi gratuit ( 1,6 centime d’euros le litre !!! mais de qualité médiocre).
Routes : Conduite à droite. Le réseau routier iranien est en très bon état.
Santé : Pas de risque sanitaire particulier
Avion : 5 h 30 pour Paris/Téhéran (à partir de 550€).
Adresses utiles
Sécurité : Aucun problème majeur, mais la répression des manifestations étudiantes, il est important de consulter le site du ministère des Affaires étrangères pour connaître les évolutions de la situation : www. France-diplomatie.fr/conseils aux voyageurs
Ambassade d’Iran : 4, rue d’iena, 75016 Paris Tél : 01 40 69 79 00 .Ouvert de 9h15 à 12h 30.
Iran Air : 63 avenue des Champs-Élysées, 75008 Paris. Tel : 01 42 25 99 06
À lire
Iran, les rives du sang (F.Hachtroudi/éditions du seuil), Anthropologie de la révolution iranienne (F.Khaskhavar/l’harmattan), l’Iran sous le voile (J-P Perrin/éditions de l’Aube), être moderne en Iran (F.Adelkhah/karthala) et bien sûr les recueilles de poésie de Hafez, Saadi, Omar khayyam et Ferdosi tous traduits en français.