La Bulgarie
Balade bulgare
Partir à la découverte des monastères bulgares comme prétexte pour visiter un pays méconnu permet de lever le voile sur les préjugés trop nombreux qui hantent les pays de l’Est. Le faire en Toyota permet de prendre conscience de richesses géographiques conjuguant forêt, mer et montagne. Cette approche par les pistes permet de se fondre dans une population marchant à deux vitesses. Car en Bulgarie, il y a ceux qui ont su s’adapter au capitalisme …et les autres.
Texte et Photos : Marc Mellet
L’entrée en Bulgarie par la petite ville de Vidin au nord pourrait donner de l’eau aux moulins des sceptiques quant aux conditions de sécurité qui règnent dans le pays. Sitôt sortis de Roumanie, de faux douaniers vous assurent qu’il faut payer une nouvelle taxe dite « écologique », en fait une fausse assurance de transit. Les vrais officiers confirment aussitôt l’obligation d’acquitter cette gabelle imaginaire inscrite en cyrillique. L’ambiance est lourde. La mafia est partout nous avait-on dit. Il faudra deux heures pour acquitter notre dû sans recours possible. C’est dans ce contexte que nous arrivons en Bulgarie, dépossédés de quelques euros de trop. La suite sera à l’opposé de ce premier jour cauchemardesque et tout nous fera dire que les reliques anciennes d’un système où la corruption régnait en maître disparaissent petit à petit. La Bulgarie a beaucoup d’autres choses à offrir : les roches et les grottes de Belogradchik, notre première étape, cinquante kilomètres plus au sud, en est un bel exemple. La géologie a particulièrement gâté la Bulgarie. Cet ensemble de cavités et de pics en tout genre offre aux voyageurs un spectacle de toute beauté qui n’est pas sans rappeler certaines zones de la Cappadoce en Turquie mais noyées dans la verdure. Pourtant, le granit qui compose le lieu ne s’est pas laissé apprivoiser pour réaliser un habitat troglodytique. Sur la route pour Sofia, la capitale, nous croisons d’innombrables Trabans, véritable musée vivant sur quatre roues de la période communiste qui cohabitent entre charrues et Mercedes rutilantes. La différence de vitesse sur la chaussée entre ces trois protagonistes ajoutée à quelques nids-de-poule n’est pas sans créer quelques problèmes.
À vol d’oiseau, Sofia est à 1700 km de Paris. Une distance si ridicule au XXIe siècle qu’elle met à jour l’ignorance que nous avons de nos voisins de l’Est. La future intégration de dix nouveaux pays dans l’Europe en 2004 (celle de la Bulgarie n’est prévue que pour 2007) fait ressurgir nos carences. Pourtant, aux premiers abords, Sofia présente toutes les caractéristiques de n’importe quelle capitale européenne d’un million et demi d’habitants. Sa situation au pied des montagnes de Vitosha lui confère même un charme certain. En quatorze ans, les vestiges du communisme ont laissé leur place à toutes les grandes enseignes du monde capitaliste. La vraie Bulgarie n’est pas là mais la ville offre quelques beaux monuments rescapés et restaurés des bombardements de la Seconde Guerre mondiale ainsi qu’une vie nocturne attrayante. Nous y rencontrons les COP, véritables milices privées qui assurent la sécurité des commerçants et des particuliers fortunés. Leurs groupes d’intervention sont composés de motos et de 4X4 flambant neufs. Amusés par notre style de voyage, ils nous offrent leur protection pour la durée de notre séjour. « Promis, en cas de problème, on vous appelle ». Nous n’en aurons pas besoin.
À cent cinquante kilomètres de Sofia, le monastère de Rila est le plus grand et le plus connu de Bulgarie. Pour tous, ce monastère de trois cents chambres fondé au Xe siècle fut le garant de la culture bulgare pendant les cinq siècles de l’occupation ottomane au travers de l’art byzantin. Les mille deux cents fresques et les nombreuses icônes présentes attestent de l’important travail des moines pour conserver les traditions intellectuelles et artistiques de la nation bulgare. Un gigantesque incendie le détruisit en 1883 mais il fut rapidement reconstruit. L’emplacement même vaut le coup d’œil, perdu au milieu des montagnes dans les forêts de sapins, une seule route traverse la vallée. C’est l’endroit idéal pour commencer des randonnées à pied mais c’est au volant que nous entreprendrons l’exploration du chemin qui mène au sommet des montagnes de Rila. Le couple de notre BJ nous tracte patiemment à deux mille quatre cent mètres au-dessus du niveau de la mer pour y découvrir des paysages …enneigés de la veille. En plein mois de juin, nous apprendrons qu’à cette altitude ce n’est pas une exception.
Rares sont les routes qui permettent de traverser les montagnes de Rila et du Pirin, il nous faut presque remonter entièrement sur Sofia pour reprendre l’axe qui mène à la vallée des roses. À Karlovo, une fête doit célébrer le début de la cueillette des fleurs via des danses traditionnelles bulgares. C’est l’occasion de manger des pétales enrobés de sucre et de s’asperger d’essence de rose. Dans toute la région, cette période est propice aux fêtes de villages. Rapidement, notre auto attire l’œil et nous sommes conviés à assister à une manche du championnat national de motocross. Plus que la course, cette manche sert de prétexte pour la commune de réunir tous ses habitants autour d’un verre de rakia, l’alcool national. Des groupes musicaux rivalisent d’énergie pour mettre l’ambiance à grand renfort de solos de clarinettes et d’accordéons. On se croirait dans « Au temps des gitans ». La course en elle-même n’est pas dénuée d’intérêt mais le contraste entre les Honda CR derniers cris qui s’arsouillent sur la piste et les 60 euros mensuels que gagne un employé de coopérative est un peu trop apparent. Même au fin fond des villages, la faille entre les deux mondes de l’après 1989 se creuse de plus en plus. Sur la route de Veliko Turnovo, deux monuments attirent notre attention tant par leur architecture que par leur symbolique qui retracent l’histoire bulgare : les globes plaqués de feuilles d’or de l’église de Shipka traversant les cimes des arbres environnants commémorent la victoire des Russes sur l’armée turque en 1879 et le monument en béton massif dans le plus pur style soviétique visible depuis la Grèce. Car il faut se souvenir qu’en fidèle serviteur de Moscou, le pays était souvent considéré comme la seizième république de l’U.R.S.S., du moins jusqu’en novembre 1989 et la chute du vieux Jivkov, son président depuis 1954.
Plus loin, un plantage dans un gué et la nécessité de trouver de l’aide lèvera le voile sur un mystère qui jusqu’ici a été la source de tant de qui-propos. Les Bulgares n’utilisent pas les mêmes codes que nous pour dire oui et non. En fait, tout est inversé. Pour dire non, ils oscillent la tête de bas en haut et un oui se signale par un mouvement de gauche à droite. Certains choisissent la position intermédiaire et font un huit de la tête. Après quinze jours sur place, nous avions l’impression d’avoir mémorisé un certain nombre de mots mais en fait nous avons appris leur contraire. La crise d’hilarité est à comble lorsque nous remémorons le contrôle de police pour excès de vitesse que nous avons subi deux jours plus tôt. Nos réponses ont fait tourner en bourriques les agents de la circulation qui n’ont eu d’autres solutions que de nous relâcher sans savoir réellement si l’on se moquait d’eux ou pas.
La ville de Veliko Turnovo est une vraie merveille. Située dans les méandres de la rivière Yantra, elle ressemble à une ville du moyen-âge. L’ancienne citadelle du XIIe siècle trône au milieu de la colline qui est entourée de toute part par la rivière. Une seule voie autorise l’accès à ce château fort naturel. La ville moderne possède également beaucoup de charme avec ses ruelles animées. Bien moins agité que Sofia, Véliko Turnovo est le point de départ rêvé pour de grandes escapades à pied. Les montagnes environnantes regorgent de monastères tous plus intéressants les uns que les autres. Les fresques qui les composent rivalisent de tailles, de finesses et de couleurs pour décrire bien souvent des scènes de l’Ancien Testament. Dans nombre d’entre eux, il est possible de dormir et ainsi de partager sommairement la vie de la communauté de moines qui vivent dans les lieux.
Après cette retraite spirituelle, le cap est mis sur la côte de la Mer Noire pour une descente vers la Turquie. Cette côte de sable blanc est le meilleur ambassadeur de Bulgarie depuis que les tour-opérateurs ont compris qu’il y avait là beaucoup d’argent à se faire. Le complexe de Sunny Beach par exemple est composé d’une centaine d’hôtels tous plus hauts les uns que les autres. Des Allemands y viennent en vacances par milliers dès les premiers rayons de soleil de l’année. Les prix sont deux fois supérieurs à ceux de l’intérieur du pays et du coup en interdisent l’accès à la majorité de la population bulgare. Du temps de la guerre froide, de gros complexes hôteliers parquaient déjà de nombreux touristes friands de soleil à « pas cher » mais maintenant le standard international impose presque des plages différentes selon la largeur de votre porte-monnaie car beaucoup d’entres-elles sont privées. Heureusement près des villes de nombreuses plages permettent des baignades plus authentiques. Certains villages de pêcheurs vous emmènent même pour un dépaysement total.
En guise de conclusion, sur 2500 kilomètres parcourus pendant un mois et demi, cette façon de voyager, par la piste et en dormant dans le véhicule, nous a souvent ouvert des portes qui ne l’auraient peut-être pas été aussi grandes autrement. Le cyrillique n’est qu’un faux problème car l’on apprend vite à reconnaître les caractères et ainsi à se diriger sans trop de soucis. Seule la langue a posé quelques difficultés mais une fois assimilé les signes de tête, les sourires et quelques dessins seront d’une grande utilité pour partager les moments d’extrêmes gentillesses d’un peuple qui n’a rien mais qui n’hésitera pas à dépenser une semaine de salaire dans un repas festif de bienvenue. Vous l’avez compris, il n’y a plus qu’à y aller.
Bulgarie en bref
Situation : Sud de l’Europe de l’Est dans les Balkans.
Superficie : 111 000 km2
Population : environ 9 millions d’habitants
Capitale : Sofia
Climat : continental. À Sofia : de –4 à 2°C en janvier et de 16 à 27°C en juillet.
Religions : Orthodoxes bulgares, musulmans
Monnaie : Le leva (1 leva = 0,5 euro).
Décalage horaire : 3 heures
Route : Le réseau principal est en état correct. Sur le réseau secondaire, attention aux nids-de-poule.
Santé : RAS
Langue : le bulgare, attention tout est inscrit en alphabet cyrillique.
Avion : Paris/Sofia à partir de 250 euros, 2h45 de vol.
Formalité : le passeport seul suffit, encore valable six mois après l’entrée dans le pays.
Prix du gasoil : 0,6 euro/litre