Libye
Chercheur d’étoiles
La Libye, pays peu connu et préservé du tourisme de masse par sa mauvaise réputation offre aux voyageurs des paysages parmi les plus beaux du Sahara. Pour les chercheurs de météorites, le désert libyque permet de concilier recherche efficace et paysages fantastiques. Récit d’un périple de 4000 kilomètres, dont plus de 1400 à travers la mer de sable. Là où les dunes font 200 mètres de haut…
Il existe mille raisons d’aller dans le désert. Pour certains, ce sera les paysages. Pour d’autres, c’est une invitation à la méditation et un moyen de se retrouver avec soi-même. Enfin, pour d’autres encore, ceux-là mêmes que j’ai pu rencontrer, les grandes étendues désertiques permettent de repérer des objets extraterrestres : les météorites. Car le blanc du sable permet d’identifier de loin tout objet qui n’aurait pas sa place dans le désert. La faible fréquentation des lieux, couplée à de bonnes conditions de conservation liées à un faible taux d’humidité ambiant, autorise de retrouver en bon état des pièces tombées il y a plusieurs années.
Notre groupe est né de la rencontre de deux hommes : Alain Carillon, vendeur de minéraux, spécialiste des météorites et Thierry Philippe, spécialiste de la Libye. Ils ont associé leurs expériences pour proposer des voyages de recherche de météorites. Bénéficiant directement de cette complémentarité, nous sommes le premier groupe de touristes à tester cette formule. Collectionneurs, sculpteurs ou simples rêveurs, mes camarades touristes ne sont pas des novices en la matière puisqu’ils sont pour la plupart passionnés de météorites.
Après un voyage en ferry des plus tranquilles, nous voici enfin en Tunisie pour un bref passage. Notre objectif est clair : cap au sud pour rejoindre la Libye et sa mer de sable. Nous traversons rapidement le pays pour atteindre la frontière terrestre de Ras Jdayr. Au poste de contrôle, la longueur de la file d’attente nous fait froids dans le dos. Nous apprenons qu’il s’agît de petits contrebandiers qui vont chercher de l’essence en Libye pour la revendre en Tunisie. Au voyage inverse, ils ramènent quelques denrées introuvables ou interdites, l’alcool par exemple. Heureusement, les étrangers passent par une file qui permet d’éviter cette attente qui semble éternelle. Deux heures plus tard, nous sortons de là avec des plaques d’immatriculation en arabe, prêt à prendre la route. L’occasion pour moi de sortir la moto. En effet, pour le passage en douane et sur le ferry, il est préférable de l’atteler à la voiture, car elle n’y est pas considérée comme un véhicule, mais comme une remorque. Ma Honda Dominator fait partie intégrante du dispositif de recherche. Non seulement elle offre la possibilité d’étendre le périmètre parcouru à pied, mais également de reconnaître les passes lorsque les enchaînements de dunes se resserrent. Permettant ainsi d’éviter aux 4×4 des ensablements pénibles.
Le désert étant notre objectif premier, nous décidons d’y arriver le plus rapidement possible. Nous entamerons la visite de Tripoli et de Leptis Magna à la remontée dans quinze jours.
À Awjilal, après 1300 kilomètres d’un bitume de première qualité, il est temps pour moi de changer mes pneus. J’échange mes Pirelli d’origine contre une paire de Michelin Désert, bien plus propice à l’amusement. Nous allons pouvoir goûter à la piste. Au hors-piste plus exactement. Cap 110°. Direction les grandes dunes de la mer de sable.
Dans un premier temps, la région que nous traversons est l’objet de l’exploitation pétrolière. Cela permet de nous caler dans un contexte de relative sécurité de navigation puisque tous les trente à quarante kilomètres se trouvent un puits, et la base qui va avec. Plutôt rassurant pour tester le GPS. Nous plantons notre premier bivouac.
Au petit matin, les couleurs du levé de soleil laissent présager que la journée sera superbe. Nous levons le camp rapidement pour partir à la découverte des immensités du désert… à pied. Crottes de chameaux, boites de conserves et débris divers seront alors notre quotidien. Tous alignés, équipés de nos aimants (les météorites de base contiennent du fer), nous allons de points noirs en points noirs, ratissant le moindre centimètre de la zone délimitée au préalable. C’est Andréas, le fils du plus grand collectionneur suisse, qui trouve la première… en allant aux toilettes lors du bivouac du soir. La dextérité de son père fera qu’ils en trouveront immédiatement une autre à trente centimètres de la première. En effet, il n’est pas rare qu’au moment de l’impact avec la Terre, les météorites éclatent en plusieurs morceaux. « C’est une chondrite simple, limée par le sable » s’exclament en cœur les participants. Sans intérêt, autre que celui d’être la première… « C’est quand même la première étoile filante que j’ai dans la main » me dis-je tout excité de cette découverte.
Sur les trois premiers jours de recherche, seul le binôme suisse ramènera chaque jour un petit morceau d’étoile. Créant chez les autres une frustration compensée par la quiétude qu’inspire l’immensité. Nous sommes maintenant dans le grand désert libyque, mitoyen avec l’Egypte. Les dunes se resserrent, notre rythme a baissé. L’attention des pilotes s’accroit. Car si les dunes sont un vrai plaisir à franchir, elles n’en sont pas moins traîtres. Il arrive parfois que l’on monte sur plusieurs kilomètres sans s’en rendre compte avant de déboucher, à environ 40-50 km/h sur une crête laissant apparaître un vide d’une centaine de mètres, deux cents pour les plus grandes. Surprise garantie… voir plus si affinité avec le sable. Prudence donc. Sur la fin du voyage, j’en ferais les frais à deux reprises alors que j’étais en reconnaissance… seul. Bonjour la galère, la moto refusant même de redémarrer alors que les 4X4 étaient à une demi-heure de l’endroit de ma chute. Ce n’est qu’après une bonne heure que j’ai pu retrouver nos véhicules grâce aux traces laissées par un des Toyota qui possèdait des pneus lisses. Pour ce coup-ci, la chance était de la partie. Ici, il n’y a pas d’hélico ni de camion balai…
En chemin, les 4×4 conservent une bonne distance de sécurité non pas pour éviter un obstacle opportun comme à l’accoutumée, mais pour anticiper la déviation de cap lié à la découverte d’un gros point noir à l’horizon (souvent des restes de prospection pétrolière). Tous, comme Théodore Monod, rêvent de trouver une météorite énorme. Pour la gloire de la découverte. En plus des erreurs de navigation, ce genre d’arrêts créent aussi de nombreux plantages que la loi du nombre surmonte facilement puisque nous ne sortons jamais les plaques de désensablage. On pousse et ça repart. Et si ça se complique, la moto, toujours à l’aise, au moins bien plus que les autos, devient un allier de choix. J’ai à charge « d’explorer » le haut des dunes pour dire si la descente est en une ou deux étapes. Car en deux fois, les voitures ne peuvent pas forcément monter la cassure de la deuxième partie de descente. Gros plantage assuré dans ce cas. L’état du terrain est aussi une variable que je dois analyser. Avec le couple de mon petit quatre temps et ses pneus désert, j’arrive à passer quasiment partout. Avec un plaisir proportionnel à la hauteur des gerbes. Le seul inconvénient est qu’il faut impérativement avoir un minimum de vitesse pour ne pas se retrouver le sabot planté dans le sable.
À cette époque, le soleil tombe très rapidement et impose de poser le camp vers 18 heures. Après, la nuit noire et les innombrables étoiles remplissent ce ciel si particulier du désert. Le bivouac permet de se remémorer les moments forts de la journée. Telle découverte, les paysages, les plantages, tout est sujet à discussion autour d’un thé près du feu. Le nouveau système de visa impose de posséder une invitation par une agence de tourisme libyenne. Nous en avons profité pour prendre un cuisinier qui nous mijote tous les soirs des plats de viande et la soupe traditionnelle, gorgée de pâte. Un des 4×4 possède même un frigo permettant alors de se désaltérer fraîchement après les heures de marche. Un régal lorsque dans la journée, il
fait 30 °C à l’ombre… et qu’il n’y a pas d’ombre. Au cinquième jour, nous sommes tous devenus experts en coquilles d’œufs d’autruche, en dents de requins, pointes de flèches et autres objets attestant que la vie était bien réelle dans le Sahara, il y a fort longtemps. Aucune trace de météorites jusqu’à ce fameux moment où par hasard nous programmons un arrêt pipi dans une zone où la probabilité de trouver du matériel était faible. Alors que résignés à ne rien ramener, nous contentant des spectacles du désert, nous découvrons une chute multiple tombée il y a moins de 100 ans. La datation de notre expert est catégorique, la croûte est en bien trop bon état. La croûte, c’est la surface de la pierre qui a été en contact avec l’atmosphère lors de sa chute. Elle présente des traces de fusion qui s’altèrent avec le temps. La nuit aura raison de notre excitation. Chacun de nous ayant trouvé son étoile, voire plus pour les plus aguerris, nous décidons de planter le camp dans la zone pour continuer la prospection le lendemain. Cette nuit sera le reflet des motivations de nos collectionneurs qui n’hésiteront pas à multiplier les « voyages-pipi » à la lampe torche pour prospecter quelques mètres supplémentaires…
Le lendemain, le ratissage de la zone continue, mais les 4×4 libyens qui nous accompagnent attirent notre attention. Leur Land Rover à moteur Toyota ne fonctionne pas bien. Pour rétablir la situation, ils enlèvent le filtre à air et le mettent dans le coffre. Une hérésie quand on connaît l’attention qu’il faut porter à cet épineux problème… surtout dans le Sahara. Du sable dans un moteur, ça n’est jamais rien de bon. Le soir, alors que les problèmes persistent (et signent), nous insistons pour nettoyer le carburateur. Il faudra le changer intégralement pour repartir. Mais leur moteur ne nous inspire pas confiance. À 27° de latitude nord et 23° de longitude ouest, nous décidons de remonter sur le village de Jalu. En fait, leur hybride Land-Toyota n’aura plus de problèmes jusqu’à la fin, mais la prudence est une règle qu’il faut savoir observer dans le désert. Pour limiter les risques liés à ce véhicule incertain, nous longeons les pistes connues à quelques kilomètres. L’occasion de découvrir des paysages d’une extrême beauté dont la piste ne laissait pas présager une telle richesse. Le top aura été lors de la traversée de la plaine de Syrte lors de la remontée vers Tripoli. Le sable jaune se mélange alors aux tables d’érosion marron foncé. Superbe.
Notre première nuit en hôtel depuis dix jours, nous permettra de faire le point sur les nombreuses météorites trouvées. La dénomination « météorites de Jalu » est née puisqu’une partie de notre trésor sera offert au muséum d’histoire naturelle à Paris pour analyse. La visite du site de Leptis Magna, ancienne ville romaine dont le théâtre est très bien conservé nous ramènera en douceur à la civilisation. Il est vrai que dans le désert nos contacts avec les Libyens auront été limités puisqu’il n’y a personne hormis les quelques employés étrangers des compagnies pétrolières. Nous avons réparé cette lacune à Tripoli lors de la visite des souks de la place verte. Une occasion supplémentaire de démystifier la mauvaise réputation de ce pays encore vierge d’un tourisme de masse. Pour nous, la certitude d’avoir envie d’y retourner.
Libye en bref
Nom officiel du pays : Jamahiriya libyenne (traduction : Etat des masses libyennes).
Superficie : 1 759 540 km2 (trois fois la France) dont 1820 km de côtes méditerranéenne.
Géographie : 95 % du pays est recouvert de déserts parsemés çà et là d’oasis. La région côtière comprend deux plaines à l’est et à l’ouest recevant de faibles précipitations, séparées au centre par la côte aride du golfe de Syrte.
Climat : désertique avec des journées torrides et des nuits froides sauf sur les côtes qui bénéficient d’un climat méditerranéen. Celles-ci subissent en été l’influence de la chaleur intense du désert tandis que de novembre à mars s’installe une période pluvieuse. Record en été dans le sud : 57,7 °C.
Population : 5 600 000 habitants. La population est à 70 % urbaine et pour plus d’un dixième originaire des pays voisins (arrivée massive suite aux découvertes pétrolières). Elle réside le long de la côte, notamment à Tripoli, la capitale, (1 million d’hab.) et Benghazi (400 000 hab.).
Langue : arabe (officielle). L’anglais, l’italien et le français sont assez répandus du fait que 40 % des actifs sont étrangers (algériens, tchadiens, égyptiens, soudanais, nigériens…).
Religions : le pays obéit à 98 % aux règles de l’islam sunnite qui laisse une petite place aux chrétiens (environ 40 000).
Capitale : Tripoli
Economie : Le pétrole est la première source de revenus du pays ; il représente 90 % des exportations. Pendant plusieurs années la Libye a été soumise à l’embargo international.